Édition #5

Restaurer les territoires : la recette du donut

Fiona OTTAVIANI Associate Professor Grenoble École de Management Co-titulaire de la Chaire Territoires en Transition Coordinatrice de la recherche Chaire UNESCO pour une culture de Paix Économique
Cela fait maintenant de nombreuses années que nous recherchons la forme que pourrait prendre un autre modèle de développement sur les territoires. Une économiste anglaise, Kate Raworth, a fait des recherches et a découvert la recette du bien vivre sur les territoires dans sa cuisine… : un donut !

PENSER UN HORIZON ALLÉCHANT

Qu’est-ce qu’un donut ? C’est une boussole pour l’économie, qui lie les limites planétaires et les limites sociales. Les limites planétaires font références aux neufs frontières planétaires identifiées par le Stockholm Resilience Center. Les limites sociales réfèrent à la manière dont nous répondons pertinemment aux besoins sociaux. Le donut repose sur sept principes :
1. Répondre aux besoins de tous dans les limites de la planète.
2. Avoir une approche d’ensemble.
3. Cultiver les relations sociales.
4. Adopter une pensée systémique.
5. Être redistributif.
6. Être régénératif.
7. Abandonner l’obsession de la croissance pour la prospérité. Il est une formalisation visuelle parlante de ce que serait l’espace juste et sûr pour l’humanité entre les limites planétaires et les
limites sociales.

Plus d’une trentaine de territoires à travers le monde se sont déjà saisis de la démarche (Bruxelles, Genève, Tampere, Nanaimo…) pour des usages variés.

« Le donut peut être aussi un outil pour alimenter des initiatives communes entre acteurs sur les territoires. »

POURQUOI UNE TELLE APPÉTENCE ?

Les usages sont multiples et doivent être pensés « sur-mesure » pour bien s’adapter aux enjeux rencontrés par les acteurs sur un territoire.
Tout d’abord, le donut permet de tracer un portrait de territoire sur les enjeux de la soutenabilité sociale et environnementale et constitue donc un gain de connaissance et un outil d’alerte sur le dépassement de seuils sociaux et environnementaux. Il permet d’alimenter une discussion territoriale autour des interdépendances, notamment au travers des quatre lunettes du bien vivre :
» Lunette 1 – local social : qu’est-ce que signifierait le bien vivre pour les habitants du territoire ?
» Lunette 2 – local écologique : qu’est-ce que signifierait le respect de l’habitat naturel pour le territoire ?
» Lunette 3 – global social : qu’est-ce que signifierait le bien vivre pour toutes les personnes à travers le monde ?
» Lunette 4 – global écologique : qu’est-ce que signifierait le respect de l’habitat naturel pour la planète ?
Ensuite, le donut, à l’instar d’autres référentiels du bien vivre, est un outil utile pour alimenter une discussion prospective (Grenoble, Nord-Pas-de-Calais, Amsterdam, Bruxelles). À l’heure où beaucoup de territoires et d’entreprises établissent leur feuille de route en faveur de la soutenabilité et cherchent à s’aligner avec les contraintes imposées par la loi Climat et Résilience de 2021, la prospective se met au service de la planification des organisations.

Le donut peut être aussi un outil pour alimenter des initiatives communes entre acteurs sur les territoires, à l’instar du « donut deal » développé par la chercheuse néerlandaise Anne Stikjel, directrice de l’International Institute for Inclusive Science. Le donut deal permet à un ensemble d’organisations du territoire de travailler simultanément sur des questions de l’intérieur (renforcement de la base sociale) et de l’extérieur du donut (respect du plafond écologique). Cette démarche peut générer des synergies précieuses entre différents secteurs d’activité comme le montre le retour d’expérience d’Amsterdam¹.
Enfin, au sein de l’organisation, la démarche de co-enquête donut testée à Bruxelles peut accompagner une transformation du business model en fournissant une démarche d’interrogation des objectifs de l’organisation, de sa gouvernance, ses réseaux, ses finances et sa propriété.
Un des grands intérêts du donut par rapport à d’autres approches existantes est d’être un référentiel parlant aussi bien pour les organisations publiques que privées et de pouvoir constituer une base facile de discussion et de mise en action autour des enjeux de la soutenabilité sociale et environnementale.

« Un des grands intérêts du donut est d’être un référentiel parlant aussi bien pour les organisations publiques que privées et de pouvoir constituer une base facile de discussion. »

 

Figure 1 : exemple du donut de l’évolution de la France entre 1995 et 2015.
Source : www.goodlife.leeds.ac.uk

 

AGRÉMENTER LA RECETTE

Le donut est un référentiel utile, mais ne fournit pas des indicateurs clés en main à l’échelle locale, ni la recette de l’articulation entre la soutenabilité sociale et environnementale. C’est pourquoi l’opérationnalisation du donut à des fins de pilotage nécessitent de penser sa complémentarité avec d’autres travaux existants sur le bien vivre².
Pour créer des initiatives communes sur les territoires et dans les organisations, la méthode SPIRAL³ utilisée dans plus de 300 endroits dans une vingtaine de pays a, par exemple, fait ses preuves pour animer une discussion collective dans les organisations et sur les territoires autour de trois questions clés : Qu’est-ce qui fait pour moi le bien-être sur mon territoire ? Qu’est-ce que le mal-être au contraire ? Et qu’est-ce que je suis prêt à faire pour contribuer au bien-être collectif ?
Sur le volet « indicateurs », il importe de ne pas en rester aux données administratives existantes, afin de produire une connaissance utile aux acteurs locaux. Généralement, les données existantes (parfois qualifiées à tort de plus « objectives ») renseignent davantage sur l’offre d’un territoire que sur ses besoins. Le risque est alors d’utiliser des indicateurs décalés par rapport aux enjeux des acteurs : par exemple des indicateurs du taux d’emploi, là où l’enjeu pour les acteurs peut être davantage de venir questionner le vécu du travail, sa qualité et les aspirations des salariés. Pour enrichir la connaissance du territoire, rien ne remplace alors le développement participatif d’une enquête sur les enjeux du bien vivre et de la soutenabilité. La démarche sur les Indicateurs de Bien-Être Soutenable Territorialisés (IBEST)4 utilisés sur le territoire de Grenoble, dans le département de l’Isère, et reprise partiellement dans la déclinaison de l’indicateur de capabilités relationnel (RCI) sur d’autres territoires, a fait la preuve de son utilité pour accroître la connaissance des acteurs sur des dimensions invisibles du territoire (entraide, rapport au temps, rapports aux institutions, qualité vécue du travail, rapport aux espaces de nature, etc.). Ce type d’enquête, basé sur un référentiel partagé, permet de se décaler par rapport aux représentations existantes du territoire, de renouveler les termes des débats sur les enjeux territoriaux5 et d’envisager de manière plus transversale les réponses aux besoins du territoire.
Ainsi, faire murir des démarches collectives, cuisiner collectivement un donut, goûter aux indicateurs de bien vivre, voilà sans doute de quoi restaurer les territoires pour répondre à leur vraie fin.

 

1 Selon les auteurs de cette expérience, 107 projets sont nés en lien avec le donut deal concernant l’alimentation, les biens de consommation et la construction : www.energy-cities.eu/fr/voyage-au-pays-du-donut/                                                                                                                      2. www.capbienvivre.org/
3 www.wikispiral.org/tiki-index.php?page=New%20Homepage%20EN
4 www.theconversation.com/comment-concevoir-collectivement-le-bien-etre-soutenable-141469. IBEST a déjà usage aussi multiple et est aujourd’hui utilisé aussi bien à des fins de connaissance, de design des actions, de mise en discussion des seuils de la soutenabilité ou d’évaluation.
5 Le conseil de développement de la métropole grenobloise a utilisé IBEST pour enrichir le questionnement évaluatif sur le PLUI, le SCOT et les politiques économiques.

 

Fiona OTTAVIANI
Fiona OTTAVIANI
Les recherches de Fiona se concentrent sur la construction et l’usage des indicateurs, l’évaluation et le développement territorial. Axés sur la transition socioéconomique des territoires et les finalités de l’organisation socioéconomique (bien-être, soutenabilité, bien commun, paix économique, impact/utilité sociale), ses travaux contribuent à repenser les dynamiques collectives en faveur de la transition.